Il faut avant tout se souvenir que Michel Houellebecq est un poète. Il est également écrivain, essayiste, critique, philosophe, cinéaste, performer et artiste. Ce n’est qu’ainsi que nous pouvons comprendre la complexité et l’immensité de son exposition Rester Vivant au Palais de Tokyo.
« Quand Jean de Loisy m’a proposé de consacrer une exposition à mes photos, j’ai tout de suite vu ça comme un retour à la poésie. Dans l’expo, il y a une sorte de narration puisque j’organise les salles qui se succèdent les unes aux autres un peu comme dans un recueil, où les poèmes, placé dans un certain ordre, produisent une narration, même si celle-ci est beaucoup plus vague que celle d’un roman. Je me considère plutôt comme producteur d’images que comme un photographe. Un photographe tente d capturer le réel, alors que moi, j’y recherche mes obsessions ou mes rêverie. Le moyen peut être la photo seule, ou la photo hybridée à un texte, ou la juxtaposition de plusieurs photos. » a affirmé Houellebecq dans un entretien publié sur le catalogue de l’exposition.
C’est exactement la sensation qu’on a dès que l’on entre dans le lieu d’exposition : la sensation d’entrer dans une narration en faisant un voyage dans la tête de Houellebecq, là où la réalité et la fiction se mélangent jusqu’à devenir méconnaissables. On est accueilli par une image énigmatique et pas très bien définissable : celle-là peut être un coucher de soleil mais aussi une aube ; au-dessus il est écrit « Il est temps de faire vos jeux ». On a la sensation d’entrer dans un territoire de dichotomies présentées au public en guise de provocation ou de pari. Il est temps de vivre ou de mourir ? Le chemin que nous allons faire nous mènera à la perdition infernale ou à la purification spirituelle ? Mission #001, une photo en noir et blanc qui semble être une image de guerre, nous invite à continuer le parcours même si nous n’avons aucune possibilité de succès. Houellebecq nous prévient qu’on entre à nos risques et périls dans un endroit probablement considéré comme une Extension du domaine de la lutte.
Un immense parcours d’exposition, bien structuré en dix-huit salles, se déroule devant nos yeux. On voit des photographies, des vidéos, des installations qui mettent en lumière le Houellebecq photographe, poète mais aussi curateur, car lui-même a invité d’autres artistes à s’exprimer dans son exposition. Une salle a été donnée à Renaud Marchand qui nous propose deux installations parmi lesquelles Daniel et Esther : la représentation des corps chimiques des deux personnages principaux du roman La possibilité d’une île. On voit sur une table, disposés à côté de pages arrachées du roman, des cylindres d’eau et tous les éléments chimiques nécessaires à la fabrication d’un « Homme Nouveau ». Une autre salle est entièrement consacrée aux tableaux de Robert Combas — artiste mentionné dans le roman La carte et le territoire — réalisés en s’inspirant des poèmes de Houellebecq. De là on arrive aux bar : une salle où on peut boire ou véritablement fumer. C’est une « salle par obsessions ». Dans un coin, il y a aussi un juke-box où nous pouvons sélectionner des extraits de ses poésies. À Maurice Renoma, styliste et photographe, a été confiée la scénographie de la salle consacrée à l’érotisme où on trouve les photos des femmes aimées par Houellebecq. Ensuite, nous traversons la salle de lecture et celle consacrée au tourisme, où est présentée de façon évidente la position critique de Houellebecq envers le tourisme de masse qui est devenu, de nos jours, de plus en plus inconscient et d’une nature plus consumériste que culturelle.
A l’exception de la salle de l’érotisme, un fait semble évident : il n’y a aucun être humain dans toutes les photographies exposées. Principalement on peut voir des paysages, pour la plupart espagnols ou français, dont il s’est servi pour l’élaboration de ses romans. Le motif de l’absence de l’homme réside probablement dans la forte croyance de l’auteur de Les particules élémentaires que l’être humain est destiné à s’éteindre. Une croyance née grâce à la lecture de H. P. Lovecraft et qui ensuite s’est développée dans le temps. On peut la retrouver, par exemple, dans La Carte et le territoire : à la fin du roman Houellebecq préconise un monde où il n’y a plus d’êtres humains et où les œuvres architecturales érigées par eux sont désormais recouvertes entièrement par la végétation. De la même manière, on peut voir que dans la photographie d’Almeria, en Espagne, les bâtiments sont entièrement recouverts de poussière. La nature prendra toujours le dessus sur l’édification humaine.
Partout dans l’exposition, on respire un air de déchéance. Présent également dans les photos des vaches — animaux adorés de Houellebecq — au pâturage ou dans celles des centres commerciaux, des barrières de péage ou des banlieues françaises. C’est la France que Houellebecq connaît le mieux car il l’a habité et vécu à fond. Paysages désolants toujours liés à des textes extraits de ses romans ou de ses poèmes. Dans France #009, les photos du suburb d’Avallon sont accompagnées d’une phrase extraite de son dernier roman Soumission : « Je n’avais, pas davantage que la plupart de ces gens, de véritable raison de me tuer. »
On pense avoir désormais compris l’esprit global de l’exposition jusqu’au moment, presque à la fin du parcours, où il faut faire face à l’inattendu : Clément. Une salle a été entièrement consacrée à son chien : un Welsh corgi blanc et roux, mort en 2011. La salle, où on respire un air d’extrême intimité est, selon le commissaire Jean de Loisy, « le symbole de l’amour absolu ». Mais, à mon avis, elle est surtout très kitsch. On peut observer beaucoup de photos de Clément, des portraits à l’aquarelle réalisés par Marie-Pierre Gauthier, ex femme de Houellebecq, et une grande vitrine où ont été collectés tous les documents et les jouets préférés du chien. À côté un diaporama des photos de l’auteur avec Clément est accompagné de la musique de A machine for loving de Iggy Pop. Les amateurs de l’écrivain reconnaîtront tout de suite Fox, le petit chien bâtard dans La possibilité d’une île : « L’amour est simple à définir, mais il se produit peu – dans la série des êtres. À travers les chiens nous rendons hommage à l’amour, et à sa possibilité. Qu’est-ce qu’un chien, sinon une machine à aimer ? ».
Inscription #012 met fin à l’exposition, la photo d’un paysage désertique superposé avec le vers d’une de ses premières poésies « Nous habitons l’absence ». C’est une image très emblématique qui synthétise l’inquiétude philosophique et existentielle de Michel Houellebecq : nous vivons ce qui est déjà destiné à disparaître.
Ainsi se termine, avec ce triste message, un riche voyage dans la narration des obsessions et des fixations de ce personnage misanthrope et pessimiste, mais jamais contagieux : en fait, tout ce qui sort de sa tête est toujours présenté avec une certaine dose de sarcasme, d’ironie, et même d’humour, qui édulcorent et donnent de la légèreté à tout son mal de vivre. Fondamentalement dans l’exposition on retrouve le style qui a toujours caractérisé Houellebecq dès le début de sa carrière. Depuis l’époque de Rester vivant, son premier essai autour de la souffrance paru en 1991, aujourd’hui titre de l’exposition, où il déclarait : « Un poète mort n’écrit plus. D’où l’importance de rester vivant. ».
Cet article, en italien, a été publié le 24 août 2016 sur le magazine Art A Part Of Cult(ure)