Not Afraid Of Love

Cinq ans après l’exposition All au Guggenheim de New York, qui collectait toute sa production et la présentait au public, sans hiérarchie, préférences ou différences entre ses œuvres, par laquelle il annonçait son retrait, la Monnaie de Paris propose l’exposition « post-requiem » qui fait face à la “ mort ” de l’artiste. Not Afraid Of Love rassemble environ une vingtaine d’œuvres parmi les plus significatives de la carrière de Maurizio Cattelan exposées comme une véritable rétrospective.

Au mur : Maurizio Cattelan, Sans titre, 2007 Résine de silicone, cheveux naturels, caisse en bois, tissu d’emballage, vis Suspendu: Maurizio Cattelan, Novecento, 1997 Cheval naturalisé, sellerie en cuir, corde, poulie Photo : Zeno Zotti Vue de l’exposition Maurizio Cattelan, Not Afraid of Love à la Monnaie de Paris, du 21 octobre 2016 au 8 janvier 2017
Au mur : Maurizio Cattelan, Sans titre, 2007 Résine de silicone, cheveux naturels, caisse en bois, tissu d’emballage,
Suspendu: Maurizio Cattelan, Novecento, 1997 Cheval naturalisé, sellerie en cuir, corde, poulie
Photo : Zeno Zotti Vue de l’exposition Maurizio Cattelan, Not Afraid of Love à la Monnaie de Paris, du 21 octobre 2016 au 8 janvier 2017

Toute l’exposition est dans les mains des spectateurs, dans leurs yeux et dans leurs interprétations auxquelles il faut ajouter le regard d’une quarantaine de personnalités célèbres dans diverses disciplines (art, psychologie, philosophie, etc…) appelées à donner leurs avis sur les œuvres de l’artiste de Padoue. Pour ou contre devant sa production. C’est exactement ce que Cattelan aime. La fuite de lui-même. C’est la danse qu’il a toujours dansé et qu’il a fait danser aux autres. Car il sait bien qu’il est dans un système où les artistes ne peuvent se refuser à danser. Tibor Fischer dans son roman, se référant aux philosophes morts, a écrit : « C’est ça le désavantage d’être morts et publiés : on doit rester ouvert à toutes heures. Entrée libre. Quiconque peut entrer, faire des commentaires idiots ou méprisants et s’arrêter quand il le veut. Une sorte d’occupation textuelle. ».1 Par contre, en anticipant sa mort, Cattelan peut encore s’amuser à observer tout ce que son art provoque sans avoir le fardeau de le défendre.
Car il n’existe pas de vérité dans son œuvre, et si elle existe elle peut exister seulement par rapport au mensonge. C’est là que naît la tension émotionnelle inhérente à toutes ses œuvres : l’oscillation constante de données opposées qui dans leur ballet ne luttent pas mais s’étreignent amoureusement.

Maurizio Cattelan, La Nona Ora, 1999 Résine polyester, gomme de silicone, pigment, cheveux naturels, tissu, vêtements, accessoires, pierre, moquette Photo : Zeno Zotti Vue de l’exposition Maurizio Cattelan, Not Afraid of Love à la Monnaie de Paris, du 21 octobre 2016 au 8 janvier 2017
Maurizio Cattelan, La Nona Ora, 1999 Résine polyester, gomme de silicone, pigment, cheveux naturels, tissu, vêtements, accessoires, pierre, moquette Photo : Zeno Zotti Vue de l’exposition Maurizio Cattelan, Not Afraid of Love à la Monnaie de Paris, du 21 octobre 2016 au 8 janvier 2017

C’est avec ce regard que l’on aborde La Femme (Sans titre, 2007) crucifiée dans la caisse : inspirée par la célèbre photographie de Francesca Woodman où elle est suspendue par les bras, l’œuvre mène la réflexion sur le thème du suicide. En levant le regard on voit Novecento (1997), monument équestre fatigué de ses nombreuses batailles. Dans le salon à coté, il y a la statue du Pape Jean-Paul II frappé par une météorite. La Nona Ora (1999), qui aujourd’hui a perdu toute signification de provocation ainsi que l’étiquette d’œuvre anti-catholique et impie d’un temps, laisse apparaître aujourd’hui son vrai sens : le pouvoir le plus haut est vulnérable. La contemplation est interrompue par de soudains roulements de tambour. En haut L’enfant au Tambour (Sans titre, 2003) nous rappelle que Cattelan est un garçon qui ne veut pas grandir. En avançant on trouve Others (2011), les pigeons exposés à la Biennale de Venise en compagnie de Mini-me (1999) son petit alter ego, et la famille de labradors avec poussin (Sans titre, 2001). Dans la salle suivante on voit le visage de Cattelan qui surgit du plancher (Sans titre, 2001) ; on pourrait croire qu’il veut  dérober quelque chose dans cet endroit qui est dédié à la production d’argent, mais il semble s’être perdu et y être arrivé par hasard. Comme dans le système qu’est l’art contemporain. En continuant on découvre Charly don’t surf (1997) : la statue d’un jeune garçon crucifié à son pupitre par deux crayons plantés dans les mains. Ensuite on croise un autre cheval qui a la tête enfouie dans le mur. Est-ce un trophée inversé ou une fuite maladroite ? Dans la même salle la banalité de la forme de Lessico Familiare (1989) provoque chez nous de la tendresse. Un autoportrait photographique en noir et blanc dans un cadre en argent, nous montre le jeune Cattelan qui forme un cœur de ses mains. La salle voisine expose All (2009), neuf sculptures en marbre de Carrare, qui rend hommage au Christ Voilé de Giuseppe Sammartino. La différence se situe dans le fait que l’on peut y voir toutes sortes de choses car comme dit Cattelan : « C’est plus intéressant de suggérer l’idée de la mort que de la montrer ». L’exposition se termine sur Him (2001). Nous découvrons l’œuvre de derrière, un jeune garçon agenouillé. On ne sait pas s’il prie ou s’il est puni pour avoir commis quelque plaisanterie. En tout cas il provoque chez nous un sentiment de pitié qui tout de suite disparaît quand nous lui faisons face : c’est Adolf Hitler. La vue de la personnification du mal et le contraste avec la forme enfantine nous oblige vraiment à une réflexion sur la possibilité, ou non, de l’absolution et du pardon.

Maurizio Cattelan, Sans titre, 2001 Résine polyester, cire, pigments, cheveux naturels Photo : Zeno Zotti Vue de l’exposition Maurizio Cattelan, Not Afraid of Love à la Monnaie de Paris, du 21 octobre 2016 au 8 janvier 2017
Maurizio Cattelan, Sans titre, 2001 Résine polyester, cire, pigments, cheveux naturels Photo : Zeno Zotti Vue de l’exposition Maurizio Cattelan, Not Afraid of Love à la Monnaie de Paris, du 21 octobre 2016 au 8 janvier 2017

Pour conclure, je dirais que Chiara Parisi, commissaire de l’exposition, a conçu puis mis en place dans les salons du premier étage de la Monnaie de Paris, une exposition intime, mélancolique et émouvante. La provocation suscitée à une époque par ces œuvres ne laisse place aujourd’hui qu’à une profonde réflexion. « Une simple provocation est oubliée en deux jours, une œuvre réussie durera beaucoup plus longtemps » affirme Cattelan et c’est cette pensée qui me semble la plus importante à la lumière de cette rétrospective.

Maurizio Cattelan, Him, 2001 Résine polyester, cire, cheveux humains, vêtements, chaussures Photo : Zeno Zotti Vue de l’exposition Maurizio Cattelan, Not Afraid of Love à la Monnaie de Paris, du 21 octobre 2016 au 8 janvier 2017
Maurizio Cattelan, Him, 2001 Résine polyester, cire, cheveux humains, vêtements, chaussures
Photo : Zeno Zotti Vue de l’exposition Maurizio Cattelan, Not Afraid of Love à la Monnaie de Paris, du 21 octobre 2016 au 8 janvier 2017

Étant donné que ses œuvres continuent de nous faire réfléchir après sa mort, je rends hommage au mockumentary de Marco Penso et Elena Del Drago et vous salue selon la formule suivante : « Cattelan est mort, vive Cattelan ! ».

Cet article a été publié en italien le 12 novembre 2016 sur Art A Part Of Cult(ure)

1 Tibor Fischer, La gang des philosophes

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