L’European Photo Exhibition Award est un projet conçu et co-organisé par quatre institutions européenne : la Fondazione Banca del Monte di Lucca (Italie), la Fondation Calouste Gulbelkian (France), l’Institusjonen Fritt Ord (Norvège) et le Kober-Stiftung (Allemand). Pour sa troisième édition, douze jeunes artistes ont été invité, par les curateurs Rune Eraker, Sérgio Mah, Enrico Stefanelli et Ingo Taubhorn, a réfléchir sur le thème Shifting Boundaries. Landscape of Ideals and Realities in Europe. Leurs travaux ont été présentés à la Fondation Calouste Gulbelkian, puis seront exposés également, entre 2016 et 2017, dans divers espaces à Oslo, Lucques et Hamburg.
Il est plus que jamais nécessaire, à une époque où l’on assiste à de grands changements sociaux à l’intérieur de la communauté européenne, de penser à l’impact de la globalisation sur la population ou à la crise économique dans l’Union Européenne ainsi que dans les différentes Etats membres qui la composent, ou encore au drame des mouvements migratoires de plus en plus massifs vers notre continent auxquels on ne réussit pas à répondre par des pratiques communes efficaces d’accueil. Il faut trouver du temps pour réfléchir sur la manière dont ces faits se répercutent sur notre culture et notre société.
Les effets sont sous les yeux de tous, spécialement en ces jours où l’on a vu le résultat du referendum britannique qui a établi la sortie du Royaume-Uni de l’Union Européenne : un nationalisme croissant uni à une fragmentation culturelle de plus en plus profonde poussent progressivement à une division plutôt qu’à l’unité.
Bien au-delà de la simple dimension géographique, les jeunes artistes, de divers âges et nationalités, ont proposé, au travers de leurs images, leur vision sur les frontières où les changements en cours se manifestent de la manière la plus significative et évidente.
Pour exemple, le travail d’Arianna Arcara (Italie, 1984) qui nous présente avec ses photographies les barrières de Nicosie, aujourd’hui la seule capitale au monde divisée par une frontière entre la République turque de Chypre du nord et la République de Chypre. La désolation de l’image nous offre une vision soudaine sur la gravité de la séparation entre les rapports de proximité.
Pierfrancesco Celada (Italie, 1979) présente une recherche visuelle sur le phénomène d’expansion des grandes villes. Il choisit la banlieue milanaise, une agglomération métropolitaine parmi les plus habitées et industrialisées d’Europe, afin de mettre en évidence que les transformations urbaines quotidiennes ne sont que des symptômes d’une croissante globalisation culturelle et économique.
Les images de Marthe Aune Eriksen (Norvège, 1975) réfléchissent sur le même sujet : la discordance entre le centre et la banlieue. Mais ses photos, privées de toutes connotations figuratives, semblent examiner le phénomène de la séparation d’un point de vue strictement psychologique et conceptuel.
Jackob Ganslmeier (Allemand, 1990) choisit l’ironie et le paradoxe. L’incohérence polonaise — pays où coexiste la grandeur et la ruine, au centre de l’Europe et en même temps nation périphérique — est bien mise en lumière par l’écart entre la désolation des images et les légendes agréables, extraites du guide de voyage Lonely Planet, qui leurs sont jointes.
L’observation de Margarida Gouveia (Portugal, 1977) est conceptuelle. Ses œuvres nous conduisent dans un endroit hybride entre le virtuel et le réel, symbole d’une société qui change rapidement à cause du passage au numérique. Ici les confins se dissolvent et changent la perception des nos corps et des nos identités.
Une fois encore le corps a un rôle principal dans le travail de Marie Hald (Danemark 1987). Ses photographies présentent une réalité très dure, c’est un reportage sur la vie quotidienne d’un groupe d’adolescentes anorexiques et boulimiques. Il s’agit de crise d’identité, des confins psychologiques et du malaise des jeunes générations dans un rapport systématiquement conflictuel avec l’image du corps parfait qui vient des médias.
Dominic Hagwood (Royaume-Unis, 1980), un petit peu hors du sujet de l’exposition, explore l’expansion des territoires de la perception mentale influencés par des substances psychotropes.
Ici la frontière est seulement de sens, alors qu’elle est réelle et dramatique dans la présentation des effets de la guerre ukrainienne, que les photos de Robin Hinsch (Allemand, 1987) mettent en évidence. On voit un pays toujours divisé entre l’ouest et la Russie, qui a du mal à trouver son identité.
Eivind H. Natvig (Norvège, 1978) expose une thématique toujours actuelle. Passer la frontière, pour les réfugiés palestiniens qui ont fui d’abord en Irak, où ils n’avaient aucun droit, pour ensuite aller en Norvège, suite à la destruction de leurs villages par les israéliens en 1948. Il ne s’agit pas d’une affaire philosophique mais simplement — et tragiquement — d’une question de vie ou de mort. On peut observer dans les photos, les visages des descendants des réfugiés superposés aux ruines des territoires quittés par les anciens, comme pour souligner que le lien qui existe avec son pays d’origine est un sentiment fort et commun à tout le genre humain.
Ildikó Peter (Hongrie, 1982) montre une étude sur la décision du gouvernement hongrois, prise en août 2015, de mettre en place une barrière de fil barbelé longue de 170 kilomètres, à la frontière avec la Serbie afin de limiter les flux migratoires de plus en plus croissants sur la route des Balkans. Les images sont éloquentes et sans besoin d’explication : on assiste à la naissance de nouveaux « rideaux de fer » au sein de l’Europe. La plainte est claire et précise : le droit de libre circulation acquis par les citoyens européens grâce au traité de Schengen est aujourd’hui menacé par des politiques à courte vue.
D’autres limites, entre les lieux du passé et les temps futurs, sont étudiées par Marie Sommer (France, 1984). Pendant son voyage dans les pays de l’ex-Yougoslavie, elle découvre des architectures abandonnées aux limites de l’oubli. Parmi elles il y a la bibliothèque de la ville natale de Tito. Ici elle réalise une installation avec beaucoup de livres trouvés sur le lieu. La photographie de cette installation se verra ensuite superposée aux images des lieux visités. C’est une tentative de recherche de dialogue entre le passé et le présent, à travers le livre, symbole depuis toujours de culture et d’union et en opposition à la division.
L’exposition se termine par l’installation The Boys Are Back de Christina Werner (Autriche, 1976). Il s’agit d’une réflexion ponctuelle sur la dérive populiste et sur la violence — spécialement verbale — des partis de l’extrême droite qui gagnent de plus en plus d’approbation dans beaucoup de pays de l’Union Européenne. La répétition en série de messages de propagande devient un symbole de la répétition cyclique de l’histoire, et dans le même temps un avertissement pour le spectateur qui de cette manière est sollicité à réfléchir sur la fragilité de nos systèmes démocratiques.
Cet article a été publié en italien sur Art a Part Of Cult(ure)