À l’occasion du 500ème anniversaire de la naissance de Jacopo Robusti (Venise 1519 – Venise 1594), mieux connu comme le Tintoret, le Musée du Luxembourg lui consacre une exposition qui, comme le dit le titre Tintoret, naissance d’un génie, se concentre sur les quinze premières années de sa carrière où le peintre vénitien passa rapidement de l’anonymat à la gloire. L’exposition, organisée par la Réunion des musées nationaux — Grand Palais et le Wallraf-Richartz-Museum & Fondation Corboud, réunit 57 œuvres, provenant de musées et institutions internationaux prestigieux, parmi lesquelles on peut admirer de véritables chef-d’œuvres.
Tintoret, jeune ambitieux
Fils d’un humble artisan teinturier, ce qui lui vaut le surnom de Tintoretto, « le petit teinturier », Jacopo Robusti s’intéresse dès sa jeunesse à tout moyen d’expression artistique, en particulier à la musique. Mais c’est dans la peinture que son talent se manifeste au mieux. Giorgio Vasari le décrit comme « le cerveau le plus terrible » que cet art ait jamais connu. « C’est un être extravagant, capricieux, prompt et résolu ». Un homme ambitieux qui travaillera durement pour atteindre son identité artistique afin de s’élever de l’humble condition de popolano et parvenir à trouver sa place dans les maisons nobiliaires de Venise qui, à l’époque, était un territoire dominé par Titien.
Les citations et les innovations
Formé probablement auprès de l’école de Bonifacio de’ Pitati, alors qu’il n’a que 20 ans, Tintoret ouvre son atelier en tant que maître indépendant. On peut bien observer — nous explique le commissaire de l’exposition Roland Krischel — dans les œuvres de cette époque, telles que L’Adoration des mages ou La conversion de saint Paul, l’influence de Titien mais aussi l’ouverture du jeune peintre aux nouvelles expérimentations artistiques et sa volonté de se mesurer aux grands maîtres de son temps dont Raphaël et Michel-Ange. Les œuvres réalisées pendant ce temps sont dotées d’une forte tridimensionalité qui dérive d’une grande attention à l’architecture. Jésus parmi les docteurs, par exemple, cite ouvertement L’École d’Athènes de Raphaël et les structures architecturales de Jacopo Sansovino, cependant on peut constater qu’il y a dans le tableau des éléments très innovants. On plonge dans un dialogue duquel on peut capturer les voix des personnages à l’intérieur de la représentation. Il semble que Tintoret ait ajouté la dimension de la musicalité à ses œuvres.
Le marché et les portraits
L’accès au marché de l’art se montre difficile pour le jeune Tintoret. Bien qu’au début son activité soit pour la plupart consacrée à la production de petites toiles décoratives représentant des scènes inspirées de la mythologie ou de l’Ancien Testament, il aspire à obtenir des commandes plus prestigieuses. Il dévouera tout son temps à la création de solides relations sociales pour arriver à travailler dans les riches demeures patriciennes. Pour gagner de la visibilité, Tintoret n’hésita même pas à baisser fortement le prix de ses prestations ou à accepter des travaux en sous-traitance. C’est le cas du Portrait de Nicolò Doria. C’est un très rare portrait en pied dont on connaissait l’existence mais qui semblait disparu. Retrouvé en 2016 dans une collection particulière, ce tableau a été fortement voulu pour l’exposition par Roland Krischel qui nous révèle que, très probablement, le portrait a été commencé par Tiziano puis cédé en sous-traitance à Tintoret.
Tintoret ou Galizzi ?
En 1995 l’américain Robert Echols publie un essai qui bouleverse le monde de l’art. Il exclut de la production du Tintoret de nombreuses œuvres les attribuant à l’inconnu Giovanni Galizzi. En effet certaines toiles de ce peintre s’approchent beaucoup du style de Tintoret. L’exposition montre des tableaux de taille moyenne, dont Le Christ et la femme adultère provenant de la Galleria nazionale d’arte antica de Rome à Palazzo Barberini, qui cherchent à répondre visuellement à ce mystère. C’est une hypothèse plausible que les deux peintres aient partagé le même atelier pendant une certaine période et que Tintoret, toujours à la recherche de commandes plus prestigieuses (soit pour la dimension, soit pour l’importance), laisse terminer certains de ses travaux précisément à Galizzi.
L’architecture et la sculpture
En plus de l’extraordinaire recherche architecturale exprimée par ses toiles, l’exposition nous offre une vue singulière sur l’étude de la sculpture de la part du Tintoret. Les peintures, telles La princesse, saint Georges et saint Louis, ne cachent pas les citations et les références cultivées à l’ancienne sculpture grecque ou aux formes plastiques de Michel-Ange.
L’approche au nu féminin et la gloire
Au début des années 1550 les commandes deviennent toujours plus nombreuses, tant que Tintoret s’entoure de nouveaux assistants. Beaucoup d’entre eux vraisemblablement sont Flamands puisque toute la nouvelle production est affectée par le contact avec cette culture. Le peintre vénitien à cette époque commence une série de travaux sur la Genèse où le nu féminin occupe une place centrale. En fait l’exposition se termine avec Le Péché originel, une œuvre majeure de cette série. Tintoret est à deux doigts de la gloire qui l’immortalisera parmi les protagonistes majeurs de la Renaissance vénitienne.
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Tintoret, naissance d’un génie
Du 7 mars au 1er juillet 2018
Musée du Luxembourg
19 rue Vaugirard, 75006 Paris
L’article en italien a été publié le 8 mai 2018 sur le site Art A Part Of Cult(ure)